Josémaria Escriva (1902-1975)
“La sainteté pour tous!”
La religion comme la politique et le business en appelle aux leaders empreints d’une vision magnanime. L’un des plus grands visionnaires religieux des temps modernes fut Josémaria Escriva, fondateur de l’institution catholique Opus Dei.
Josémaria Escriva fonda l’Opus Dei en 1928, à une époque où la sainteté était considérée comme le privilège de quelques-uns – prêtres, moines et religieux. Escriva réaffirma ainsi que tous les chrétiens sans exception sont appelés à la perfection de la vie chrétienne et que, pour la plupart d’entre eux, la sainteté consiste dans l’accomplissement fidèle de leurs obligations professionnelles, familiales, religieuses et sociales.
Le pape Jean-Paul II n’hésita pas à donner à ce prêtre espagnol le nom d’« apôtre des laïcs pour les temps modernes ».
Escriva concevait le travail comme un don de Dieu qui permet aux simples mortels d’être co-créateurs du monde avec Dieu. Le travail bien fait est un moyen de sanctification pour le travailleur, et un sacrifice offert à Dieu pour le salut des âmes.
Bien qu’Escriva ait été considéré au cours de sa vie comme un hérétique et un fou par des personnages d’église « tout à fait respectables », son enseignement fut entériné par le Concile Vatican II (1963-1965), et dans le monde entier la multitude entendit son appel : plus de 400 000 personnes venues du monde entier assistèrent à sa canonisation le 6 octobre 2002 sur la place Saint-Pierre à Rome.
Le 8 octobre 1967 sur le campus de l’Université de Navarre à Pampelune, Escriva prononça une des plus belles homélies que le christianisme ait produit, et qui illustre, avec la richesse des mots et des images, le contenu de son message :
« Mes enfants, là où sont vos aspirations, votre travail, vos amours, là se trouve le lieu de votre rencontre quotidienne avec le Christ. C’est au milieu des choses les plus matérielles de la terre que nous devons nous sanctifier, en servant Dieu et tous les hommes… Le monde n’est pas mauvais, puisqu’il est sorti des mains de Dieu, puisqu’il est sa création, puisque Yahvé l’a contemplé et a vu qu’il était bon. C’est nous, les hommes, qui le rendons laid et mauvais, par nos péchés et nos infidélités. N’en doutez pas, mes enfants : toute forme d’évasion hors des honnêtes réalités quotidiennes est pour vous, hommes et femmes de ce monde, à l’opposé de la volonté de Dieu… Dieu vous appelle à le servir dans et à partir des tâches civiles, matérielles, séculières de la vie humaine : c’est dans un laboratoire, dans la salle d’opération d’un hôpital, à la caserne, dans une chaire d’université, à l’usine, à l’atelier, aux champs, dans le foyer familial et au sein de l’immense panorama du travail, c’est là que Dieu nous attend chaque jour. Sachez-le bien : il y a quelque chose de saint, de divin, qui se cache dans les situations les plus ordinaires et c’est à chacun d’entre vous qu’il appartient de le découvrir.
J’avais l’habitude de dire à ces étudiants et à ces ouvriers, qui se joignaient à moi vers les années trente, qu’ils devaient savoir matérialiser la vie spirituelle. Je voulais de la sorte éloigner d’eux la tentation, si fréquente alors comme aujourd’hui, de mener une espèce de double vie : d’un côté la vie intérieure, la vie de relation avec Dieu ; de l’autre, une vie distincte et à part, la vie familiale, professionnelle, sociale, pleine de petites réalités terrestres.
Non, mes enfants ! Non, il ne peut y avoir de double vie, nous ne pouvons être pareils aux schizophrènes si nous voulons être chrétiens ; il n’y a qu’ une seule vie, faite de chair et d’esprit et c’est cette vie-là qui doit être — corps et âme — sainte et pleine de Dieu : ce Dieu invisible, nous le découvrons dans les choses les plus visibles et les plus matérielles.
Il n’y a pas d’autre chemin, mes enfants : ou nous savons trouver le Seigneur dans notre vie ordinaire, ou nous ne le trouverons jamais. Voilà pourquoi je puis vous dire que notre époque a besoin qu’on restitue, à la matière et aux situations qui semblent les plus banales, leur sens noble et originel, qu’on les mette au service du Royaume de Dieu, qu’on les spiritualise, en en faisant le moyen et l’occasion de notre rencontre continuelle avec Jésus-Christ… Le sens authentique du christianisme — qui professe la résurrection de toute chair — s’affronte toujours, comme il est logique, avec la désincarnation, sans crainte d’être taxé de matérialisme. Il est donc permis de parler d’un matérialisme chrétien qui s’oppose audacieusement aux matérialismes fermés à l’esprit… Cette doctrine de la Sainte Écriture qui est, comme vous le savez, au centre même de l’esprit de l’Opus Dei, doit vous mener à réaliser votre travail avec perfection, à aimer Dieu et les hommes en faisant avec amour les petites choses habituelles de la journée, découvrant ainsi ce quelque chose de divin qui se trouve enfermé dans les détails. Comme ils viennent à propos ces vers du poète castillan : Tout doucement, tournez bien les lettres : Bien faire les choses est plus important que de les faire…
Je vous assure, mes enfants, que lorsqu’un chrétien accomplit avec amour les actions quotidiennes les moins transcendantes, ce qu’il fait déborde de transcendance divine. Voilà pourquoi je vous ai dit, répété et ressassé inlassablement, que la vocation chrétienne consiste à convertir en alexandrins la prose de chaque jour. Sur la ligne de l’horizon, mes enfants, le ciel et le terre semblent se rejoindre. Mais non, là où ils s’unissent, en réalité, c’est dans vos cœurs, lorsque vous vivez saintement la vie ordinaire…
Laissez donc les rêves, les faux idéalismes, les fantaisies, en un mot, ce que j’ai coutume d’appeler la mystique du si — ah ! si je ne m’étais pas marié, ah ! si je n’avais pas cette profession, ah ! si j’avais une meilleure santé, ah ! si j’étais jeune, ah ! si j’étais vieux ! — et, en revanche, tenez-vous-en à la réalité la plus matérielle et la plus immédiate, car c’est là que se trouve le Seigneur… »