Par Soeur Marie-Antoinette Saadé

Elias Hoyek (1843-1931)

Donnez à tous, ne distinguez pas entre chrétiens et musulmans.

Personnalité marquante, homme de grande prestance, le Patriarche Elias Hoyek était chef, pasteur et père présent au cœur de son Eglise et de son pays, toujours à l’écoute de son peuple.

Homme d’envergure, à l’âme noble, imposant et vénérable, il était respecté de tous ceux qui l’approchaient.

Ascétique dans sa vie privée, généreux jusqu’à la prodigalité avec les autres, il n’a cessé d’œuvrer pour soutirer à la misère les pauvres et chercher à améliorer leurs conditions de vie. Durant sa longue vie d’évêque et de patriarche, il reçut les honneurs avec détachement, sans se départir de son humilité ni de son ascèse quant à sa vie personnelle et privée. Promu, influent et honoré, il mit toutes ces prérogatives au service de ceux qui étaient dans la nécessité. Sa cellule privée était celle d’un moine : sur un paillasson, un matelas très simple ; près du lit, un bout de tapis, une petite table qui lui sert de bureau, avec une antichambre transformée en oratoire où il célèbre la messe et médite chaque matin.

Libre, désintéressé et sage, il était un homme d’ouverture et de dialogue. Il était écouté avec vénération, parce qu’il ne travaillait que pour le bien commun, dans l’intérêt de son peuple et de la société. Pendant les années de disette, il disait à ses collaborateurs : « Nous sommes tous un seul et même peuple. Je suis le patriarche des maronites, ma confession c’est le Liban et je suis pour tous les libanais ».

Dans ses relations sociales, nationales et internationales, il fait toujours appel à un travail de collaboration tant au niveau ecclésial qu’au niveau national. Pasteur de son Église, il prend ses décisions en collégialité avec ses confrères les Évêques. Chef politique, il sait agir en concert avec tous les chefs de différentes confessions et de différents courants politiques au profit du bien commun de la Nation Libanaise. Avec un zèle discret, il travaille avec tous dans un esprit d’ouverture et de solidarité.

Intègre et fidèle dans ses relations, il a toujours gagné la confiance de ses interlocuteurs de tout bord, nationaux et internationaux. Ils lui faisaient crédit, car ils savaient qu’il était un homme de vérité et d’unité. Sa parole valait de l’or. Quant à sa lutte pour l’intégrité du territoire de son pays, il était un homme de principe attaché à ses racines, à la terre de ses aïeux. Faisant tout ce qui est en son pouvoir pour que le Liban retrouve sa liberté et sa dignité, il s’oppose farouchement aux Grandes Puissances de l’époque qui cherchent à se l’annexer. Il dit : « Moi je ne change pas mes principes même si les nations s’effondrent, leurs conditions se renversent et leurs hommes déchoient ».

Visionnaire et prophète, il avait constamment l’oreille tournée vers le ciel pour entendre ce que Dieu voulait qu’il fasse, et l’œil sur ceux dont il avait la charge pour pourvoir à leurs besoins. Ce qu’il a construit était solide et durable : de la pierre, des relations et des amitiés inaltérables, une Congrégation religieuse (Sœurs Maronites de la Sainte Famille), des espaces de culture, des cadres et un avenir pour son pays. Il restaure 18 couvents, édifie 32 églises, envoie 13 séminaristes à Rome à ses propres frais, et effectue régulièrement des visites pastorales aux villages reculés et oubliés du pays.

Fonder une congrégation religieuse apostolique autochtone était le projet omniprésent dans l’esprit d’Elias Hoyek depuis le début de sa vie sacerdotale. Pour lui, c’est la solution à l’éradication des fléaux qui menacent la cellule fondamentale de la société : la famille. Devenu évêque, son rêve devient réalité grâce à la Divine Providence qui, après lui avoir inspiré un tel désir, lui donne enfin les moyens de le voir se réaliser à la suite de sa rencontre providentielle avec Mère Rosalie Nasr et Sœur Stéphanie Kardouch. Le Père Fondateur confère le nom de La Sainte Famille à la jeune Congrégation, ayant la conviction que la sainteté de ce nom poussera ses filles les religieuses à se configurer à l’esprit de la Sainte Famille de Nazareth et à répandre ainsi ses vertus dans leurs lieux de mission. Car, « ses vertus édifieront les foyers, garderont les familles et préserveront la société de toute corruption ». Il a la profonde conviction que c’est sur l’éducation de la jeune fille particulièrement que repose l’avenir de la famille, donc de la société tout entière.

Défenseur du pauvre et du petit, le Patriarche Hoyek a fait de la cause des pauvres, son cheval de bataille, tout au long de sa vie de prêtre, d’évêque et de Patriarche. Il s’est fait la voix des sans-voix et leur défenseur. Pour répondre aux urgences provoquées par la guerre mondiale, il organise à travers tout le pays la distribution des aides et des vivres élémentaires qui arrivent au pays au compte-goutte et ce qui reste des représailles de l’armée Ottomane. Nourrir les pauvres et les affamés, soutenir les victimes de la famine, surtout pendant la première guerre mondiale est la priorité de ses priorités. Les lettres qu’il adresse à Mère Stéphanie Kardouch, entre autres, sont là pour attester de son combat acharné contre la misère de son peuple. Il dit : « Si par ma mort, vous aurez la vie et la paix, je souhaite une telle mort ! Donnez, donnez à tous, le patriarcat est une tendre mère qui considère tous les libanais comme ses enfants et ne distingue pas entre chrétiens et musulmans ».

Le Patriarche Elias Hoyek s’insurgeait contre toute forme d’injustice ; remuait ciel et terre pour ramener les enfants du pays de leur exil, pour faire gracier des condamnés à mort, pour alléger les tributs imposés injustement aux citoyens par des envahisseurs étrangers. Il établit un bouclier contre la misère, la maladie, les injustices sociales et politiques, l’analphabétisme, l’ignorance, la pauvreté culturelle, le manque d’éducation.

Les biographes du Patriarche Elias Hoyek sont d’accord pour le comparer à un cèdre robuste et fort. Sa force est inséparable de son humilité du cœur et de la simplicité de sa vie personnelle : « Le Cèdre immarcescible s’est incarné, peut-on dire, dans Elias Hoyek, Patriarche du Liban. De lui, il a la robustesse, la virilité, le cœur généreux et fort, la puissante fécondité ». La force du Patriarche Elias Hoyek résidait dans sa confiance totale et irrévocable en la Divine Providence. À l’ombre de cette Providence il grandit, réalisa, accomplit, vécut et ferma les yeux pour les ouvrir à la plénitude de l’Amour éternel dont il s’était fait le serviteur.

Selon le Patriarche Elias Hoyek, la vocation à la sainteté est une vocation pour tout chrétien. Elle ne consiste pas dans l’accomplissement des choses extraordinaires, mais plutôt de vivre d’une manière extraordinaire ce qui est ordinaire, c’est-à-dire avec intégrité, avec fidélité et avec amour. Elle consiste à accomplir fidèlement et scrupuleusement son devoir chacun selon son état de vie. Ceux qui le connaissent savent combien cette vertu d’intégrité, de ponctualité et de fidélité au devoir est la sienne.

Dans une lettre adressée aux Sœurs de la Sainte Famille sur les vertus chrétiennes, le Patriarche Elias Hoyek dit au sujet des vertus cardinales : « Tous nos actes humains puisent à la force de l’Esprit Saint habitant en nous à condition que ces actes soient accomplis selon l’essence des choses, c’est-à-dire en situant chaque chose à sa juste place. Ceci se réalise si nos actes sont conformes à ce que nous appelons les vertus morales, à savoir : la Prudence et la Tempérance, la Force et la Justice ».

Il prêche ainsi une sainteté réaliste qui n’est pas moins héroïque que celle des grands saints à condition qu’elle soit vécue dans une foi profonde et avec un amour sans limite : « À cette occasion, je tiens à vous rappeler un fait qui risque de garder quelques-unes dans l’illusion : elles pensent que la perfection de la vie spirituelle consiste dans les actes extraordinaires, merveilleux ou sublimes. Une telle illusion peut mener jusqu’au découragement et au désespoir. Or, la vérité est à l’opposé de cette illusion, car Dieu, en nous appelant à la sainteté, ne nous demande pas l’impossible. La sainteté dépend des actions accomplies selon l’esprit chrétien, C’est-à-dire selon l’esprit de foi ».

Six ans après sa mort, un visiteur de sa tombe écrit sur les premières pages du Livre d’Or :  « Le parfum des vertus des saints se répand comme le parfum de la violette cachée parmi les herbes et les épines. Nous avons visité la tombe du « saint » au mois d’août 1937.

Un de ses biographes, P. Mansour Awad, résume ainsi la vie du Patriarche Elias Hoyek en insistant sur sa vertu attrayante aux yeux de ses contemporains : « En toute circonstance et dans toutes ses œuvres il glorifiait Dieu ; et sa vertu était aimée et prisée de tous. Elle était vue du Maronite, du Chrétien, du Musulman, du Druze et du Chiite, du grand comme de l’humble, du magistrat comme de l’accusé et chacun se baissait pour baiser sa main et se tenait droit devant lui, épris de sa dignité et de sa simplicité vénérable, convaincu qu’il était devant l’homme de Dieu ».

⁕ Brève biographie 

Né à Helta, dans la région de Batroun, le 4 décembre 1843, Elias Hoyek était l’aîné d’une famille de sept enfants, trois garçons et quatre filles. Son père Tadros, curé du village, était connu sous le nom de Père Boutros. Sa mère, Ghorra Tannous Hoyek, une sainte femme ayant une foi à toute épreuve, était renommée pour sa charité et sa piété exemplaire.

Elias grandit dans une maison sacerdotale qui vivait de l’amour et de la crainte de Dieu. La foi y était vivante et Dieu y occupait la première place. Il reçut une éducation qui le prédisposait à l’amour de la vérité et de la mansuétude, suffisamment pour faire de lui l’homme de la droiture, de l’ouverture et de l’humilité.

Le premier souci de son père était de procurer à ses enfants une bonne scolarité, car c’était l’unique héritage qu’il pouvait et voulait leur laisser. Suite à l’école du vieux chêne, le jeune Elias fréquenta l’école du monastère de Saint Jean-Maroun de Kfarhay (1851-1859). C’est là que sa vocation pour le sacerdoce commença à poindre. De Kfarhay il rejoignit le séminaire de Ghazir (1859), puis la Propaganda Fide à Rome (1866) ; ceci jusqu’à la date de son ordination sacerdotale à Rome même, le 5 juin 1870. Il rentra au Liban le 9 août 1870 après avoir obtenu son doctorat en théologie. En 1872, le Patriarche Massaad le nomma comme secrétaire personnel à Bkerké.

Le 14 décembre 1889, il fut sacré évêque, archevêque titulaire de ‘Araka et vicaire patriarcal. Le 7 janvier 1899, il fut élu Patriarche d’Antioche et de tout l’Orient. Il reposa en paix le 24 décembre 1931, la nuit de Noël.

⁕Ses réalisations

Sur le plan national, social et ecclésial :

  • Il ré-ouvrit le collège Maronite à Rome.
  • Il obtint du gouvernement français le droit d’avoir une église maronite, à Paris, Notre Dame du Liban, ainsi que des bourses d’étude.
  • Par son entremise, l’Eglise Maronite put avoir une éparchie maronite en Egypte.
  • Il acheta la maison maronite à Jérusalem.
  • Il envoya des émissaires dans les pays d’émigration pour visiter les libanais comme il encouragea les missionnaires à ouvrir des missions dans ces pays-là.
  • Il y eut une floraison d’églises durant son mandat patriarcal.
  • Il rénova 22 églises au Liban.
  • Il construisit le Siège patriarcal d’été à Dimane.
  • Il introduisit la retraite annuelle au collège des évêques.
  • Il s’occupa de la formation des prêtres et des séminaristes ; il en a envoyé à Rome et à Paris pour parfaire leur formation.
  • Il érigea le sanctuaire de Notre Dame du Liban à Harissa.
  • Il fonda la Congrégation des Sœurs Maronites de la Sainte famille avec Mère Rosalie Nasr et Sœur Stéphanie Kardouche.
  • Il donna l’ordre d’ouvrir les portes des couvents et monastères aux affamés de la première guerre mondiale pendant les années de disette.
  • Mandaté par toutes les communautés du peuple libanais, il représenta le Liban près de la Ligue des Nations en 1919, réclamant l’indépendance du Liban.
  • En sa présence, le Général Gouraud déclara l’Etat du Grand Liban le 1er septembre 1920.