Piotr Stolypine (1862-1911)

« Enterrez-moi où je serai assassiné »

Piotr Stolypine fut Premier ministre de 1906 à 1911. De loin la plus brillante figure des chefs de gouvernement de Nicolas II, il fut le seul à avoir un projet capable d’enrayer la vague de terreur et de révolution qui avait ébranlé la Russie pendant plusieurs décennies. Son plan consistait à donner à la paysannerie et à la classe laborieuse russe une place dans le système économique de sorte que, pour la première fois dans l’histoire de la Russie, ces classes pourraient bénéficier du fruit de leur travail. Il tenta une transformation juridique et administrative de l’empire. La réforme agraire était la pierre de touche de ce programme. C’était une entreprise risquée politiquement : socialistes autant que conservateurs éprouvaient une vénération presque mystique pour le mir ou commune villageoise, forme de propriété collective de la paysannerie. Les socialistes chérissaient la commune, car ils y voyaient un précédent historique, un modèle pour socialiser la totalité de la vie économique et sociale du pays. La classe des propriétaires terriens conservateurs, quant à elle, considérait la commune comme la base de son pouvoir et de son influence. Stolypine, par tempérament, éducation et tendance politique, était conservateur, mais en homme prudent, il était d’abord et principalement réaliste. Il comprit que la commune était moralement injuste, économiquement inefficace et cause première de l’instabilité sociale. En redistribuant la terre arable tous les trois ans selon le principe de l’égalité, la commune déresponsabilisait chaque paysan et le décourageait par avance d’améliorer sa parcelle de terre. Avec le temps, la commune devint un terrain fertile pour l’agitation révolutionnaire. Le projet de réforme agraire de Stolypine, dont l’objectif était de faire du paysan un « propriétaire », provoqua une opposition féroce des socialistes : ceux-ci craignirent à juste titre que cette réforme fasse disparaître la source même de l’insatisfaction qu’ils cherchaient à exploiter. Les puissants propriétaires terriens s’opposèrent aux réformes avec la même fureur : ils se rendaient bien compte qu’une paysannerie forte mettrait un terme à un système social, source de leur pouvoir. Craignant la colère de l’opposition, le tsar désavoua son Premier ministre. Alexandre Soljenitsyne affirme que si la Russie avait adopté le programme de réforme agraire de Stolypine, une paysannerie indépendante aurait vu le jour et la nation aurait été épargnée du bolchevisme. Malheureusement, le projet de réforme fut interrompu, ouvrant ainsi la voie à la révolution communiste. Bien que seul et isolé, Stolypine n’abandonna jamais la lutte. Il consacra toutes ses forces à ce qu’il considérait être sa mission, et cela jusqu’à son assassinat en septembre 1911 par Dimitri Bogrov, personnage ténébreux, lié à la fois aux terroristes révolutionnaires et à la police secrète tsariste. Stolypine savait que le seul moyen pour sa famille et pour lui de retrouver sécurité et tranquillité était de donner sa démission, mais il n’avait aucune intention de céder à la terreur. Dans son testament il écrivit ces mots devenus célèbres : « Enterrez-moi où je serai assassiné. » Voilà un bel exemple d’endurance.