Alexandre Souvorov (1730-1800)

“Mes soldats me sont plus chers que moi-même”.

Personnalité exceptionnelle, adulé par ses soldats, admiré par les grands capitaines de son temps, ce petit homme (il mesure à peine 1,60 m) n’a jamais subi de défaite de toute sa carrière. Tacticien hors pair, il remporta la plupart de ses batailles avec souvent des effectifs inférieurs en nombre à ceux de ses adversaires, jouant sur l’audace, la rapidité, la mobilité, et surtout cherchant à inculquer à ses hommes une éducation militaire faite d’esprit d’initiative et de responsabilisation, au rebours de l’éducation militaire prussienne, brutale, rigide et lourde de l’armée de Frédéric II (toujours battue par Souvorov), considérée pourtant à l’époque comme un modèle d’efficacité. Son génie militaire, étayé par un palmarès de victoires sans précédent dans l’histoire militaire, en fait un égal d’Alexandre le Grand ou de Jules César.

Les soldats adoraient un chef qui partageait toutes leurs fatigues, qui vivait au milieu d’eux sans faste, sans recherche et aussi simplement qu’eux-mêmes. Aussi actif qu’audacieux, il possédait au suprême degré l’art d’exalter l’enthousiasme du soldat et de l’attacher à sa destinée.

À Vérone, il refusa l’appartement qu’on lui avait préparé et en choisit un autre beaucoup plus simple, dont il fit enlever les glaces comme un objet de luxe qui blessait ses yeux. Il ne portait son uniforme que dans les occasions où il s’agissait de faire respecter en lui le général des armées de son souverain ; dans toutes les autres, on le trouvait vêtu de toile, ou dans les plus grands froids, d’une touloupe (pelisse commune) en peau de mouton.

En 1798, la Russie, alliée à la Grande-Bretagne et à l’Autriche, soutenus par la Turquie, déclare la guerre à la France. Paul Ier rappelle Suvorov (tombé en semi-disgrâce après la mort de Catherine II), à la demande expresse de François Ier d’Autriche. Celui-ci voudrait le voir commander les troupes qui assureront la reconquête de l’Italie, dont Napoléon Bonaparte vient de s’emparer (puis qu’il a quittée pour se rendre en Egypte en 1798, avant d’y revenir en 1800).

Le 18 avril 1799, Suvorov prit le commandement en chef des armées combinées austro-russes. À la tête d’une armée russo-autrichienne, Souvorov entre donc en Italie au printemps 1799. Le 27 avril il remporte une victoire dans la bataille de Cassano ; le 29 avril, il entre à Milan et deux semaines après, il occupe Turin et proclame la restitution du Piémont à son roi, Charles Emmanuel IV.

À l’automne, Souvorov passe le col du Saint-Gothard afin de soutenir le général Korsakov qui s’apprête à envahir la France. Mais Korsakov, mal soutenu par les Autrichiens jaloux des succès de Souvorov, s’est fait battre le 25 septembre par les troupes du général André Masséna à la bataille de Zurich. Les Russes sont alors obligés de se replier vers le Vorarlberg. Choqué, Paul Ier dissout l’alliance et rappelle Souvorov. C’est alors que le feld-maréchal se décida à abandonner les Autrichiens à eux-mêmes et à ramener à son souverain les faibles restes de l’armée confiée à son commandement. Après des peines et des fatigues inouïes, Souvorov parvint en Allemagne avec les restes de son armée. Masséna dira plus tard qu’il donnerait toutes ses campagnes et toutes ses victoires pour la seule expédition de Souvorov en Italie. En apprenant la retraite du feld-maréchal, Paul Ier approuva sa conduite, il annonça hautement l’intention de célébrer ses victoires en Italie en faisant entrer Souvorov à Saint-Pétersbourg sous un arc de triomphe ; mais tout à coup les dispositions de l’Empereur changèrent, et au lieu d’une entrée triomphale, le tsar, jaloux de sa popularité, a annulé la cérémonie. Il lui fait même l’injure de le dégrader.

Souvorov, après avoir séjourné, pendant le mois de janvier de l’année 1800, à Prague où il eut plusieurs conférences avec le général autrichien Bellegarde et l’ambassadeur britannique Spencer Smith, et où il célébra le mariage de son fils avec une princesse de Courlande, continua de rouler vers Saint-Pétersbourg, d’après les ordres précis de Paul Ier, déterminé à rompre avec la coalition qu’il accusait de l’avoir trahi et qui s’indignait de voir un feld-maréchal russe en rapport avec un diplomate anglais, quand lui, empereur, renvoyait au cabinet britannique, percée de son épée, la dépêche par laquelle on lui refusait la souveraineté promise de Malte.

Au lieu des honneurs qu’il attendait et qui lui étaient dus, Souvorov trouva un ordre d’exil ; ce fut secrètement et de nuit qu’il entra dans la capitale de l’Empereur, et il ne fit que traverser Saint-Pétersbourg pour aller chercher un asile auprès d’une de ses nièces. Forcé de s’éloigner, le vieux guerrier, accablé de chagrin, se retira dans sa terre de Pollendorff dans le gouvernement d’Estland, où il ne languit que peu de temps ; tombé dangereusement malade, il fut bientôt aux portes du tombeau.

L’Empereur, se repentant alors de sa conduite injuste et cruelle envers un homme qui avait couvert de gloire les armées russes, l’envoya visiter par ses deux fils, Alexandre, depuis empereur, et Constantin, qui avait partagé avec le feld-maréchal une partie des dangers de la dernière campagne.

C’est dans la quasi-pauvreté que l’un des plus grands généraux de son temps décède le 18 mai 1800.

Après la mort de Paul Ier, Alexandre Souvorov est vite reconnu par la Russie entière comme un grand héros et le plus grand génie militaire de l’histoire du pays. Au XIXe siècle comme au XXe, il sera une source d’inspiration pour tous les généraux.